Propos recueillis par Alexandra Marini
Art Actuel, n° 75, juillet-août 2011, p87-89
Agir pour et avec l’environnement, tel est le fer de lance de l’artiste monégasque Philippe Pastor qui explore depuis des années un travail axé sur la sauvegarde de la planète. Cette nouvelle série, intitulée « Révolution », nous donne une idée du degré d’urgence qui l’anime. Autodidacte, il choisit de se retirer, au printemps, dans une ancienne bergerie au cœur de la montagne varoise et de travailler en pleine nature. Remarqué lors de sa participation à la 53e biennale de Venise, où il inaugurait le pavillon monégasque avec la série « Le Ciel regarde la Terre », c’est pourtant dès 2003 qu’il dénonce les drames écologiques contemporains. Engagé, il participe d’ailleurs activement au programme de reforestation des Nations Unies « un milliard d’arbres pour la planète » avec les arbres brûlés, dispersés à travers le monde, de New York à Singapour. En géologie, le terme « Révolution » désigne l’ensemble des phénomènes naturels et des changements successifs qui marquent la surface de la terre. Et c’est bien au processus que Philippe Pastor s’intéresse ici. Les œuvres restent au préalable plusieurs mois à même le sol et évoluent au gré des éléments extérieurs. Puis il se les réapproprie à travers une série de gestes déterminés : pliage, montage, projections, qui miment le processus organique. Conscient du chaos proliférant de la culture globale, il cherche à traduire la tension qui s’opère entre l’homme et la nature : quelle relation l’homme entretient-il avec son environnement ? Quel avenir se réserve-t-il une fois les ressources planétaires épuisées ? Ce face à face engendre des toiles en relief, marquées all-over, qui donnent corps à des formes immatérielles : écoulement de l’eau, déambulations, et relief des montagnes. Il y a cette idée d’un mouvement dont le point de retour coïncide avec le point de départ mettant en évidence l’attachement viscéral de l’Homme à la Terre, car la Révolution, c’est avant tout une prise de conscience. Explications.
Pourquoi avoir choisi de quitter l’atelier et de travailler en pleine nature ?
Le déclic, ça a été les incendies qui ont ravagé le Var en 2003. Je me suis senti concerné, forcément, et très touché. Face à ces arbres brûlés qui s’accumulaient, mon premier réflexe a été de travailler directement avec ces éléments et de les intégrer dans des installations. Une façon, en quelque sorte, de leur donner une nouvelle vie. Vous savez, les destructions, les accidents en disent long sur l’humanité, et c’est un point qui m’intéresse. Aujourd’hui je souhaite travailler en extérieur. Avoir un lien direct avec la végétation est essentiel pour moi, pour exprimer ce que je ressens mais aussi ce que la nature a à dire. Je veux être en contact, créer un dialogue.
Justement, comment définiriez-vous les termes de ce dialogue ?
C’est assez paradoxal. Il y a d’un côté ce désir d’être au plus proche, au plus juste des choses avec toujours cette part de hasard et d’inconnu qui est vraiment très stimulante, et d’un autre côté, il y a tout ce travail en amont avec ces recherches qui me permettent de fonctionner de cette façon. Il suffit de voir tout ce que j’ai pu accumuler comme dessins d’approches et travaux préparatoires, que ce soit sur papiers ou morceaux de toiles. Toutes ces ébauches me permettent de faire des essais, et de leurs résultats dépend ce que je décide de faire ou de développer ensuite, de choisir comme angle d’exploration.
En quoi consiste cette série, « Révolution » ?
Avec cette série, je suis passé à un travail de drapé. Je veux sortir du rapport châssis-toile, trop contenu. Qu’il s’agisse de toiles, de tissus, ou de bâches de tente utilisées par l’armée, je veux faire évoluer ma vision plus librement. Pendant 6 à 8 mois je les laisse dehors, à même le sol. L’eau sillonne et ravine avec ce que j’y ai déposé. J’utilise un nombre important de pigments naturels, mais aussi d’éléments alentours : les minéraux, les végétaux, la terre, l’eau, et le feu, quand ça me prend ! Même si aujourd’hui, à force de travailler de cette façon, je maîtrise en partie ce qui va se produire sur la toile, les possibilités sont infinies, car la nature est toujours en mouvement.
Vos différentes séries font explicitement référence aux bouleversements climatiques et à l’épuisement des réserves de la Terre. Pensez-vous que l’art soit un réel allié de la « Révolution verte » ?
Aujourd’hui le constat est simple : ce que l’homme détruit d’un côté, il ne le reconstruit pas de l’autre. C’est extrêmement grave ce qu’il se passe, entre la globalisation, l’hyperproduction, l’hyperconsommation, les bouleversements climatiques, le dérèglement des saisons, il n’y a plus de repères. Or la survie de l’homme dépend de la sauvegarde de la nature, c’est le message que je souhaite faire passer. Quant à savoir si la prise de conscience fonctionne, c’est une autre histoire…Il arrive un moment où l’on ressent le besoin d’aller à l’essentiel. A mon âge j’essaie de rester libre dans mes choix et de ne pas être dépendant d’un système.