Philippe Pastor, Marginal à l’œuvre
Héritier fortuné et artiste autodidacte, il dénonce par son travail les drames de la pollution et de la destruction de notre environnement. Son obsession.
Peu importe qu’il soit monégasque, descendant du clan de maçons italiens qui, avec le prince Rainier, a bétonné la Principauté pour en faire une multinationale. Peu importe, car Philippe Pastor, 54 ans, vit sur une autre planète. De là, il contemple à loisir notre Terre en déconfiture, qui le passionne autant qu’elle le désespère. Celle qu’il peint, fouillant ses entrailles, dans le chaos ordonné de son atelier de Figueras, en Espagne. A part aux vernissages, il a toujours les ongles en deuil, envahis par les pigments et les brindilles qu’il jette sur ses œuvres, les mains calleuses, à force de lutter avec ses pinceaux, de sculpter le bois de ses arbres brûlés qu’il récupère après des incendies criminels. On connaît ceux plantés comme des totems à l’aéroport de Nice. Bientôt, il devrait y en avoir dans 40 villes à travers le monde, dans le cadre d’une opération sous l’égide de l’Onu.
Le monde, sa destruction, mais aussi le comportement des gens, la tristesse ou la beauté, la solitude le hantent. Guerriers, prostituées, amoureux, jeunes filles et marginaux peuplaient ses premières œuvres. Plus maintenant. Car, même accompagné, Pastor est seul. Il est grave, comme sa voix, comme ses toiles, plus abstraites, d’une beauté inquiétante, sur lesquelles il étale ses tripes. C’est un ogre, un jouisseur, porté par une énergie tellurique. Il aime les princesses aux pieds nus, ne possède rien d’ostentatoire, mais sa fortune à disposition de sa seule liberté. Il tutoie Albert II qu’il a connu enfant, mais c’est de Gérard Depardieu qu’il devrait être le cousin. Dix-huit ans d’abstinence au compteur, c’est la seule chose qui, peut-être, les sépare. Comme lui, il ne se pose nulle part, vit à l’écart, jamais loin de la mer. Quand il en a marre, il part. Sans s’excuser, sinon en citant cette phrase de Jiddu Krishnarmurti : « Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale d’être bien adapté à une société malade ». Son projet pour les deux ans à venir : « Ne pas avoir de projet. » Se retirer encore plus loin. Sillonner les routes sur sa moto, une Harley-Davidson, trouver l’inspiration dans les paysages, refaire en vain le monde avec son pote, fondateur des Alcooliques anonymes de France, réinventer « ce monde de l’art faussé » avec Adrien Maeght qui a épousé sa mère.
Seule la nature l’apaise. Sa dévastation le rend fou. « L’homme détruit tout de la main droite et, malheureusement, ne reconstruit rien de la gauche », assène-t-il. La sauvegarde de l’environnement est devenue sa « préoccupation première ». « C’est plus vital que de penser aux comptes en banque bien remplis qu’on laissera à nos enfants ». Avec son association Art & environnement à laquelle est affectée une partie du profit de ses sculptures, Philipe Pastor participe à des programmes de reforestation et de sensibilisation des enfants. « Ils sont les seuls à comprendre le désespoir et la douleur de mes arbres. » L’été dernier, sur un terrain aux alentours de Figueras, il a inscrit en lettres de pierre un immense « Basta ». « Basta à la pollution, basta à la vie moderne, aux non-sens, aux politiques qui nous mènent au chaos, à cette mondialisation qui nous tue. Il est temps de se réveiller, de surmonter les différences er de s’unir pour tout changer. » Sur sa Harley, Pastor s’est mis en quête d’autres terres pour y inscrire des messages géants que survoleront les avions. Après avoir écumé la vie et ses envies, l’hériter a décidé de nous léguer sa vision lucide de notre pauvre condition.